« Parce que, depuis plusieurs décennies maintenant, la gauche ne cesse de stagner, de régresser, de perdre les combats qu’elle engage, il est nécessaire d’interroger nos stratégies, nos modes de pensée et nos manières de lutter. À quelles conditions les forces progressistes peuvent-elles redevenir puissantes politiquement ? »
Geoffroy de Lagasnerie[1]
« L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes. La force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle. Mais la théorie devient, elle aussi, une force matérielle dès qu’elle pénètre les masses. »
Karl Marx
« L’esprit finit toujours par vaincre l’épée. »
Napoléon 1er
« On ne montre pas au serpent le bâton avec lequel on entend tuer le serpent. »
Dicton togolais
Ici, référence est faite à ma lettre ouverte en date du 03 septembre écoulé, adressée à tous (!!!) mes co-combattants togolais de la liberté. À partir de la diffusion de ce texte, je n’ai point de cesse de réfléchir à deux interrogations fondamentales : (i) Comment expliquer l’évident échec de nous autres Togolais qui luttons depuis si longtemps maintenant pour nous libérer du joug éyadémao-gnassingbéen ?! Et ce, en dépit de l’indubitable vaillance de notre Peuple ! (ii) N’est-il pas grand temps pour nous de revoir quelque peu la stratégie que nous avons adoptée jusqu’ici ?!
Et voici que je tombe sur un bouquin de Geoffroy de Lagasnerie, intitulé « SORTIR DE NOTRE IMPUISSANCE POLITIQUE ». Ed. Fayard, Paris, septembre 2020. Dans le résumé de cet opuscule à la 4ème page de couverture, résumé ici reproduit en épigraphe, que le lecteur veuille bien substituer, à « la gauche », l’expression « le Peuple togolais combattant de la liberté », et il comprendra de quoi il s’agit. Bien entendu, il convient, mutatis mutandis, c’est-à-dire toutes choses étant égales, que nous nous placions dans le contexte spécifique concret du Togo.
Cela dit, je prends la liberté d’inviter vivement (!) tous les authentiques combattants togolais de la Dignité – notamment la Jeunesse togolaise – à lire, étudier et assimiler (!) à fond l’opuscule en considération de 90 (quatre-vingt-dix) pages seulement, mais dont le contenu affiche une indéniable densité, et une époustouflante similitude avec notre situation… togolaise. À cette fin, et en vue de mettre un peu d’eau à la bouche du lecteur, je transcris ci-après, intégralement, les points 1 à 4 (pp. 7-10) de ladite brochure.
LECTURE :
« 1. Ce texte voudrait confronter les forces progressistes à une réflexion de nature tactique, c’est-à-dire qui s’interroge essentiellement sur les moyens de rendre puissants et victorieux les combats que nous engageons.
- Paradoxalement, nous plaçons rarement la question stratégique au cœur de l’analyse politique : lorsque nous sommes en colère, lorsque nous voulons intervenir politiquement, des modes de contestation sont là, qui nous précèdent et nous attendent, et nous nous en remettons à eux pour nous construire comme sujet en lutte : la grève, la manifestation, la pétition, le lobbying, le sit-in, l’occupation, l’action illégale, le vote, l’émeute violente…
En un sens, l’espace de la contestation est l’un des plus codifiés de la vie sociale. Exister politiquement se résume largement à reprendre des instruments préconstitués sans en interroger la force et l’efficacité. Ce n’est pas tellement que nous luttons, c’est que nous nous signifions comme sujets-en-lutte auprès des autres en recourant à ce type de pratiques. Nous n’agissons pas politiquement en stratèges mais en automates.
Il y a quelque chose de si rituel dans nos vies et en particulier dans nos vies politiques qu’il semble parfois que nous soyons presque incapables de faire des expériences. Nous éprouvons les plus grandes difficultés à prendre de la distance par rapport à la pratique – à apprendre, à examiner, à interroger lucidement ce que nous faisons pour éventuellement renoncer à telle pratique ou, si nécessaire, à en changer. Nous réagissons à la conjoncture ou tentons de combattre les forces auxquelles nous nous opposons en recourant systématiquement aux mêmes armes, même lorsque celles-ci ont montré leur inefficacité, au point que la politique devient la scène de la répétition plutôt que celle de l’invention et de la surprise. Très souvent les petits livres sur l’action politique se réduisent à des manuels de bonne gestion des formes habituelles (comment s’organiser, comment contrôler la communication, comment prendre des décisions collectives, comment rassembler le plus de monde possible), comme si lutter, agir, se mobiliser devait toujours vouloir dire la même chose. Ces manuels donnent alors l’impression étrange que les modes de l’action sont donnés – intouchables et immuables.
- Il est nécessaire à l’inverse d’opérer un tournant tactique dans notre pensée politique – ce que l’on pourrait appeler y faire vivre un moment utilitariste. Car une doctrine politique qui n’est pas indexée à une réflexion sur la possibilité de la réussite n’est pas une doctrine politique : c’est un rêve, un fantasme. C’est une aspiration subjective, mais ce n’est pas une idée concrète dotée de force.
- Faire vivre un moment tactique dans la pensée politique nécessite que nous parvenions à distinguer notre être de notre recours aux formes instituées, pour envisager d’autres possibilités d’être. Cette tâche peut exiger de construire un autre imaginaire de la lutte et de nos façons de nous mettre en mouvement. C’est le champ de l’expérience, la signification même de mots comme « agir », « radical », « protestation », « bon », qui doivent être réagencés.
Lorsque nous décidons d’intervenir, nous ne devons pas nous en remettre aux formes traditionnelles qui nous donnent souvent un sentiment purement fictif d’agir. Nous devons reprendre du pouvoir sur les instruments qui sont censés nous donner du pouvoir et nous interroger : les formes traditionnelles ne se sont-elles pas routinisées avec le temps ? N’ont-elles pas perdu leur efficacité ? Ne vivons-nous pas dans un champ politique tel que l’expression de la dissidence est déjà inscrite dans le système et donc en un sens programmée par lui ? Si nous voulons mettre en crise l’État, ne devons-nous pas forger des modes de protestation qui surprendraient l’État et ne seraient plus prescrits, légalement ou sociologiquement, par le système ? À quelles conditions la politique progressiste peut-elle à nouveau prendre la forme d’une action efficace ?
La question politique, c’est la question de l’effectivité pratique, qui doit primer sur toute autre considération : tant de gens semblent parfois préférer perdre que renoncer à quelques petites opinions personnelles, ou alors paraissent confondre être un sujet politique et se conformer à des modes d’action qui ne produisent rien si ce n’est le sentiment de s’inscrire dans un mode de vie gratifiant, du côté de ceux qui luttent, qui luttent bien. »
* * *
Oui ! À vrai dire, il m’apparaît indispensable (!) que nous revoyions de fond en comble notre stratégie, au lieu de nous contenter de modes d’action fanés plus ou moins inefficients.
À ce sujet, je suggèrerais que nous mettions sur pied et fassions fonctionner un petit comité chargé de s’occuper du boulot…
Salut !
Paris, le 03 décembre 2020
Godwin Tété
[1] Geoffroy de Lagasnerie, « Sortir de notre impuissance politique ». Ed. Fayard, Paris, 2020, 4ème page de couverture.